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[L.C]
27 août 2012

XII. Marion

L’école est le lieu des rencontres les plus cocasses.

Cela va de la rencontre banale, du type sans intérêt, de la nana la plus superficielle au monde, des gens se sentant perdus dans une cour de récré, aux gens sur populaires, ultra-branchés, sûrs d’eux, créatifs, entourés, voire envahis d’amis. Ceci dit, ce sont rarement les plus intéressants.

On y trouve quelques cas. Le suicidaire, l’obsédé, la chialeuse, le boute-en-train, la sauvage, le gros, le roux, le noir de service… Le lycée, c’est comme un zoo pour humains. Chacun s’observe comme s’il n’avait jamais vu un être de telle sorte. Comme si la vue d’une personne était la seule activité véritable du lycée. C’est le lieu d’exhibition des petites chiennes, aussi bien hommes que femmes, le lieu des mecs qui se la jouent, des intellos coincés et marginaux qui s’exhibent, le lieu de l’affirmation.

Paradoxalement, je ne me suis jamais vraiment affirmé jusqu’à cette année. Je n’ai jamais dit à qui que ce soit qui étais-je, du moins réellement. Je vis dans cette sorte de cocon qui me détache de la réalité. Les gens me jugent mal, ils sont trop souvent loin du compte. J’accepte que l’on ne m’aime pas, en revanche, je n’accepte pas ceux qui croient de fausses choses à mon égard. En Terminale, les gens te respectent davantage. Tu découvres ou redécouvres des personnalités nouvelles, il y a ceux que tu ne vois plus du même œil.

Marion, c’est son cas. Une jolie fille, très jolie. Elle le sait, d’ailleurs. Avant, je la voyais comme une de ces petites filles coincées et gamines, qui chauffent beaucoup et qui ne font jamais rien, par peur. Cette attitude m’a toujours dégoûté encore davantage du sexe féminin.

En fait, Marion, c’est tout autre chose. Maintenant, on se respecte l’un l’autre. C’est une fille enrichissante. Elle m’apporte beaucoup, parce qu’elle me ressemble, au féminin. En réalité, on a trop de points communs. Jeune et insouciante des dangers, elle ère parfois en gardant sa petite bouille souriante, mais en bouillant à l’intérieur. Emotive, elle prend tout, elle reçoit tout, elle capte le sentiment, elle le décuple, elle le transmet.

Je l’apprécie davantage chaque jour, parce que tous ces petits défauts sont infimes quant au bonheur qu’elle transmet. Elle nous enlève l’ennui, la tristesse en soi, la solitude, le manque d’affection. En réalité, c’est la seule personne avec qui je sors tout ce dont je souffre.

Et inévitablement, elle a vécu la même chose que moi, une rupture très difficile. Elle aussi, elle ne peut s’empêcher de l’aimer, encore et encore, de se remémorer ses erreurs, en pensant qu’avoir fait autrement aurait pu tout changer, aurait pu nous rendre plus heureux. Elle aussi, elle vit d’illusions, d’espoirs toujours déchus, d’amour, de sexe, et de joie. Elle est jeune avant d’être jeune, elle fait tout trop tôt. A force d’aller trop vite vers le feu, elle se brûle les ailes, mais elle avance tout de même.

C’est plutôt sa force de continuer, toujours et encore, que j’admire. J’aimerais savoir ne pas vivre dans le passé, savoir oublier ne serait-ce qu’un moment, pour avancer. J’en ai marre de toujours en rester au même point.

On a tout de même une différence radicale : elle choisit toujours des mecs moches et cons. Des mecs, qui, lorsqu’on les voit une simple fois, on sait qui ils sont. Des vieux mecs, qui ne vivent, eux, que de cul et de domination sur l’autre. Des mecs dopés de testostérone, des mecs doux au début et violents par les mots à la fin. Elle souffre, et c’est presque à en croire qu’elle aime ça.

J’ai mal pour elle, parce qu’elle n’est pas aimée au point où elle le mérite. Personne ne vante ses qualités au point où elle en a le plus le droit.

« A vouloir vivre trop vite,

Vouloir tout essayer,

Je te préviens petite,

Ça va mal terminer,

Et ça je ne veux pas. »[1]

Je n’ai jamais autant apprécié nos moments de confessions que ceux avec Benjamin. On s’avoue tout, ou presque, plus rien n’est tabou. La musique est notre drogue préférée après la clope d’avant manger, celle d’après manger, celle du bronzage, celle de la sortie des cours, et surtout celle d’après l’amour.

Nos musiques, rien qu’à nous, sont nos remèdes contre nos maux intérieurs. On est rongés, on bade. Et le bade, lorsqu’il est partagé, est tellement plus appréciable.

Parce qu’on est deux dans les mêmes cas, on sait comment se remonter le moral. On a finalement le don pour savoir comment remonter l’autre, quand on est en perpétuelle descente en nous-mêmes.

J’ai toujours le don pour ne jamais apprécier au mieux une soirée, jusqu’à ce qu’elle me montre comment faire. Je n’ai jamais su trouver le juste milieu entre la blague et le sérieux, jusqu’à ce que je la voie faire.

C’est pour moi, un autre type de repère dans la vie. Savoir être jeune, savoir oublier, savoir s’éclater. J’apprends en étant à ses côtés, j’apprends comment vivre, tout simplement.

Les gens nous jugent beaucoup, mais jamais assez bien. De toute façon, il y a peu de mots pour décrire aussi bien une relation comme la nôtre. C’est vrai, nos points communs nous unissent trop pour donner des lettres à chacun de nos sourires, à ces moments de complicité que je n’ai nulle part ailleurs. Ces petits moments où je sens qu’on me comprend.

Si je l’apprécie autant en ce moment, c’est parce qu’on sait à quel point nous sommes paumés. J’ai compris à travers elle que j’ai fait une grosse erreur en quittant Aleks.

J’ai un repère de moins. J’ai peur de faire des conneries.

J’ai encore ce trou dans le bide, cette angoisse permanente, celle qui me suit depuis que je suis né, j’ai l’impression d’être né pour avoir mal. Aleks m’enlevait un gros poids de tout ça. Je ne pensais pas que le pouvoir de l’amour pouvait aller jusque-là, jusqu’à vous étrangler quand vous finissez seul, jusqu’à en tuer votre âme.

Je me sens tellement différent des autres, tellement seul, tellement oublié… J’ai l’impression d’être celui auquel on ne donnera jamais une véritable explication. Celui qu’on a encore une fois, égaré, sans laisser le moindre chemin de réussir.

A la fin de cette année, je ne garderai pas beaucoup de contacts. Marion, je ferai tout pour la garder. En si peu, elle m’apporte tant…

Elle est si jeune, si fragile. Elle, comme moi, entre dans une vie de pré-adultes qui cherchent leur place, leur envie de réussir amoureusement, de rencontrer pour une durée infinie l’entrée du bonheur.

Nos blagues sur le cul,  sur nos vieux amours, sur ma sexualité, sur son attitude déconcertante, sur notre pauvre capacité de réflexion, sur nos fragilités, nos points noirs, nos passés… Tous ces moments d’autodérisions sont encore une fois, un moyen de combattre le mal par le mal, de l’oublier tout en en parlant.

D’un côté, je l’envie, parce qu’elle est capable de faire face, de se lâcher, une bonne fois pour toutes, repartir. Moi, je ne sais pas pleurer, je ne le fais qu’aux mauvais moments. Je n’ai jamais l’émotion adéquate.

Mais d’un autre côté, je ne voudrais pas être comme elle, parce que je suis bien trop sage pour ne plus rien penser, ou ne penser qu’à mes problèmes. Je suis toujours obligé de me psychanalyser à travers ceux des autres, et de croire en mon bonheur à travers ceux des autres.

La vie paisible me manque. Celle où l’excès n’existe pas, celle où la souffrance n’est que passagère, et réductible. À croire qu’il faut avoir tout vécu pour vivre enfin paisiblement.

Je peux dire aujourd’hui, que Marion est ma meilleure amie. Déjà, parce qu’aucune fille n’arrive à son niveau, je dois le dire. Ensuite, parce que je n’ai connu personne qui m’ait donné autant que j’ai donné, en si peu de temps. On se connait depuis peu, et on se connait pourtant tellement…

J’arrive à anticiper la première erreur qu’elle va faire, là où elle va céder, encore une fois. Son absence me manque, les vacances de l’année paraissent trop longues quand nous sommes éloignés l’un de l’autre.

Quand un pilier se brise, il faut en trouver un solide pour le remplacer. Je crois que j’ai trouvé le meilleur qui soit.



[1] BB Brunes – J’écoute les Cramps

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[L.C]
  • Voici ma première autobiographie. Je veux montrer qu'il n'est pas nécessaire d'avoir la cinquantaine, ou d'avoir fait la guerre, pour avoir du recul, sur son existence. L'important est de commencer, par le commencement.
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